L’étendue des possibilités esthétiques et techniques, offertes par le béton désactivé, en fait l’acteur principal du réaménagement d’un espace urbain de presque deux hectares en plein cœur de la ville.

Bouches-du-Rhône

Aubagne est une ville, à n’en pas douter. Et même une ville d’importance qui pointe au troisième rang des communes des Bouches-du-Rhône, lorsque Marseille coincée dans ses collines, est exclue du classement. Avec près de 45 000 habitants, Aubagne, la ville natale de Marcel Pagnol, à l’est de la cité phocéenne, est devenu un carrefour sans pareil entre le vieux port, le reste du monde et la Côte d’Azur.
Desservie par de nombreuses autoroutes, la ville tente toutefois de conserver son âme, de ne pas écouter les sirènes du ‘tout moderne”, comme en témoignent les aménagements réalisés en 2005 sur le Cours Voltaire et la Place du 14 Juillet.

Place du 14 Juillet : emploi de sept bétons désactivés de couleurs différentes, réalisés avec des granulats concassés calcaires d’Aubagne.

Rendre plus vivante la place du marché

À l’origine, ces deux lieux contigus souffraient des avanies des cités modernes aux développements oublieux des règles simples de l’urbanisme, les interventions et aménagements s’y étaient succédé sans réelle cohérence, empilant les différentes strates de manière désordonnée et faisant – réminiscence du siècle dernier – une part belle et exclusive aux automobiles et à leurs conducteurs. Tout en tentant de conserver, grâce au marché qui s’y tient trois fois par semaine, une vie sociale et urbaine.

“Cet ensemble comportait plusieurs petits bâtiments, deux parkings, une allée plus ou moins piétonne, le plus souvent envahie par les voitures, avec des revêtements multiples. Les arbres et les alignements ne correspondaient plus du tout au rythme de la place” détaille Jean-Michel Aimar, technicien principal du Service technique infrastructures de la ville d’Aubagne.

C’est sous cet espace que coule l’Huveaune, une rivière mangée par la ville depuis les années soixante, couverte depuis pour finir par disparaître sous… les voitures. L’ensemble est imposant, autour de 18 000 m2, dont 10 000 m2 pour la seule place du marché, au cœur de la ville : il méritait donc qu’on s’y attarde.

“Nous souhaitions rendre cet espace plus vivant, plus accessible et plus agréable aux piétons, permettre au marché de s’installer quatre fois par semaine, et faire en sorte que l’espace ne soit plus une voie de transit pour les voitures” poursuit Jean-Michel Aimar. La construction d’une Zone d’activités concertées (ZAC) rendait de plus nécessaire la réalisation d’une liaison piétonne entre ce nouvel espace d’habitation et de vie situé en bord de centre-ville et le cœur de la cité proprement dit. “Compte tenu des utilisations que nous voulions faire de cette place, il fallait qu’elle soit non seulement carrossable, mais également facile à entretenir et résistante au nettoyage à haute pression” précise Jean-Michel Aimar

Le projet s’articule en deux espaces distincts : au fond, la Place du 14 Juillet et, au premier plan, le Cours Voltaire. Ce dernier accueille le marché quatre fois par semaine, mais sert aussi d’espace festif à l’occasion de concerts. Une élégante fontaine apporte une touche de fraîcheur, particulièrement appréciée lors des chaudes journées d’été.

Sept bétons désactivés de couleurs différentes

Convié à réfléchir sur cet aménagement majeur et important, Vincent Guillermin, architecte-paysagiste, a choisi d’utiliser toutes les qualités des bétons désactivés de voirie : couleurs, plasticité, résistances… “Ce projet s’articule en deux zones distinctes : la Place du 14 Juillet, grande dalle en béton sous laquelle coule l’Huveaune, et le Cours Voltaire, placé perpendiculairement. Pour ces espaces, nous avons opté pour deux partis pris différents : sur la place, signaler la présence de l’Huveaune en souterrain par le traitement du sol et sur le Cours Voltaire, réaliser un traitement en place, libre de toute entrave, presque minimaliste dans son équipement, sans résurgence, afin que le marché puisse se tenir sans contraintes” explique Vincent Guillermin.

Afin de marquer la présence invisible de la rivière, le choix s’est porté sur un béton désactivé coloré en bleu, avec des granulats roulés de rivière, 1/16 de Durance aux tons gris, brun et beige et 8/16 de Vergèze jaune ou beige. Des incrustations de profilés en inox viennent marquer plus encore cette présence, en matérialisant d’hypothétiques méandres

Sept bétons désactivés de couleurs différentes

Ce matériau, peu courant à vrai dire dans le traitement des sols, a également été mis en œuvre sur le Cours Voltaire, au cœur même de l’espace dévolu au marché. “Nous avons fait réaliser des caissons en inox, découpés au laser, qui accueillent en leur sein des bétons désactivés de couleurs différentes, dont l’utilisation nous a permis de créer une composition plus originale que d’habitude” ajoute Vincent Guillermin.

Au total, sept couleurs ont été utilisées et des granulats concassés calcaires, 6/10 de Cassis et 6/10 d’Aubagne ont été retenus pour cette grande Place qui offre ainsi à l’œil des à-plats de couleurs différentes. Le choix du béton désactivé s’est d’ailleurs rapidement imposé pour une double considération économique et esthétique, alors qu’une autre direction avait été prise au départ du projet, comme l’évoque Vincent Guillermin : “Malgré un budget relativement restreint par rapport à l’ambition du projet, le béton désactivé nous a permis de faire à peu près ce que l’on voulait, tant pour le choix des couleurs que pour les agencements…”.

Autre atout : la durabilité du béton désactivé, que Vincent Guillermin avait vérifié sur un autre chantier d’importance, réalisé sur le boulevard urbain sud à Marseille, où dit-il : “Le béton vieillit très bien, même sur les couloirs de bus, pourtant très fortement sollicités”.

Pour le fournisseur de béton, le chantier présentait quelques difficultés qu’il a fallu s’ingénier à surmonter, comme le précise Pierre Daver, responsable produits spéciaux de Cemex pour le Sud-Est : “Pour certaines dalles, nous avons été contraints de pomper le béton. Au total, ce sont 1 300 m3 des différentes formulations qui auront été livrés sur le chantier, avec un objectif permanent de régularité, de qualité et de respect des livraisons”.

Sur le Cours Voltaire, des caissons en inox, découpés au laser, ont été installés pour faciliter le coulage des bétons désactivés de couleurs différentes. Puis, les bétons ont été lissés avec soin, avant l’application d’un désactivant.

Sur la Place du 14 Juillet, les bornes ont été conçues afin de matérialiser la voie pour taxis et la desserte du marché. Et des incrustations de profilés en inox symbolisent le cours de la rivière Huveaune qui coule sous le béton.

Un espace pensé pour être multifonctionnel

Profitant de tous ces travaux de réaménagement, qui ont coûté 2,3 millions d’euros au total, tous les réseaux ont été repris puis remis en état, comme cela est confirmé par Jean-Michel Aimar : “Aujourd’hui, après avoir été délocalisé, le marché a retrouvé sa Place et les premiers échos qui nous parviennent de la population sont très bons”.

Outre l’esthétique, tout l’espace a été pensé pour être multifonctionnel : “Le Cours Voltaire fera donc la liaison entre le nouveau quartier et le centre-ville, mais il a aussi vocation à devenir un lieu festif, destiné à accueillir des estrades montées à l’occasion de concerts, par exemple. Il n’y a aucune élévation sur cette Place, sauf un petit bâtiment servant de « consigne » et permettant aux clients du marché de déposer leurs achats, le temps d’aller chercher leur voiture et de revenir pour les charger…”. Même les bornes, destinées à offrir toutes les commodités aux commerçants, ont été conçues de façon à être escamotées et permettre au marché de se tenir. Quant aux voitures, elles n’ont plus la main mise sur l’espace: la voie de circulation a été réduite à peau de chagrin, le stationnement sauvage en double file est désormais impossible et une zone de limitation de vitesse à 30 km/h couvre l’ensemble de l’espace rénové.

De l’avenir pour les bétons désactivés

Les maîtres d’ouvrages sont-ils désormais prêts à se laisser séduire plus encore par les voiries en béton ? Vincent Guillermin reconnaît que quand les paysagistes ou les architectes proposent cette idée dans les projets, elle est, en général, favorablement reçue par les commanditaires. “Et quand nous sentons encore parfois une certaine frilosité, chez les élus notamment, celle-ci est surtout liée à la méconnaissance qu’ils ont de ce type de produits” conclut le paysagiste varois.

Nul doute que les vastes et contemporaines réalisations de la Place du 14 Juillet et du Cours Voltaire à Aubagne font déjà partie des références qui, de façon certaine, compteront à l’avenir dans le département des Bouches-du-Rhône.

Les bétons désactivés et colorés de la Place du 14 Juillet sont faciles à entretenir et résistants au nettoyage à haute pression

Routes N°96 – Juin 2006